Liaison, le journal de l'Université de Sherbrooke, 10 avril 2003

 

Une journée au pays des gauchos

Journal de voyage
Écologie sans frontières en Argentine

Depuis janvier, huit étudiantes et étudiants en biologie séjournent en Argentine dans le cadre d’un stage parrainé par l’Association Écologie sans frontières. Il s’agit de Frédéric Branch, Catherine Couturier-Desrosiers, Lila Gagnon-Brambilla, Camille Rivard-Sirois, Joëlle Dugay, Marie-Pierre Maurice, Annie Lebel et Eric Bazin. Leur mission : participer à la réalisation d’études visant la préservation et la saine utilisation de l’écosystème de la province d’Entre Rios. Liaison publie des extraits de leur journal de voyage. Au fil des semaines, ils nous racontent leur quotidien, leurs impressions et nous font part de l’évolution du projet.

ANNIE LEBEL
Collaboration spéciale

Nous sommes en Argentine depuis maintenant deux mois afin de participer à un programme social destiné à améliorer la qualité de vie des petits paysans. Afin de découvrir le mode de vie de ces agriculteurs souvent très pauvres, on se promène de famille en famille, à travers la province d’Entre Rios. Entre deux visites, nous retournons à Paraná, notre port d’attache. Afin de souligner les couleurs de notre voyage, je vous propose de me suivre tout au long d’une journée dans cette cité argentine. ¡Adelante!

La petite fille du matin

Lundi 31 mars 2003,
7 h 2, Paraná, Argentine
Voilà un autre matin où le timbre de mon réveil m’arrache à mon sommeil. Encore partagée entre deux mondes, je me surprends à rêvasser à la petite Gabriela. Je nous revois sur la même monture à trotter parmi les algarrobos : moi derrière elle, m’accrochant de mon mieux en tentant d’oublier l’inconfort de notre selle rudimentaire. "Gabriela, c’est quoi donc le nom de cet oiseau-là?" "Un CAR-PIN-TE-RO", me répond-elle patiemment pour la troisième fois depuis le début de la promenade. Ils vont me manquer, elle et sa famille. Comment pourrais-je oublier ces gens avec peu de moyens mais au grand cœur qui m’ont accueillie si chaleureusement dans leur demeure? L’acharnement de mon réveille-matin me ramène à la réalité. Une autre journée m’attend. ¡Hasta luego, Gabriela!

Du maté pour les neurones

Une fois les deux pieds sur terre et la routine matinale accomplie, je me lance dans un autre épisode de "une journée en Argentine", en compagnie des autres membres du groupe. Premier objectif : me rendre à la Faculté des sciences de Paraná pour y suivre un cours de pédologie avec Oscar Valentinuz, ingénieur agronome. Moi qui croyais mes études terminées, le déroulement de ma jeune carrière me rappelle vite à l’ordre. Me voilà donc de retour sur les bancs d’école. Par contre, le contexte est quelque peu différent cette fois-ci : une salle de classe plongée dans une chaleur tropicale, un professeur hispanophone et l’amusement de pouvoir caresser du bout des orteils un des nombreux chiens du campus venu s’asseoir à mes pieds. Mis à part ces disparités culturelles, ici comme ailleurs, un cours reste un cours. La pause est la bienvenue. C’est le moment de digérer la masse d’information reçue. Chacun en profite pour remplir son Thermos d’eau chaude. Pour un peso, les "bouilloires-distributrices" nous permettent de partager un maté, boisson nationale des Argentins. Rien de tel que cette infusion pour se remettre les idées en place! Le reste du cours se passe comme un charme. Mes neurones maintenant bien actifs, j’arrive presque à oublier que tout se déroule en espagnol. Me voilà prête à passer au second objectif de la journée. Les gens du Programme social nous attendent.

La rencontre des clans

Fidèles à notre habitude, nous arrivons à temps pour la réunion, mais au prix d’une course folle à travers les rues de Paraná. L’ambiance chaleureuse et conviviale qui règne à l’intérieur de l’édifice contraste avec l’aspect austère et décrépi qu’il laisse paraître de l’extérieur. ¡Holà! ¿Comó le va? ¡Qué tal! Une demi-douzaine d’employés nous invitent à entrer, à faire comme chez nous. Chez nous… c’est loin chez nous! Dix mille kilomètres d’ici, oui monsieur! Mais pourtant, avec un tel accueil, c’est vrai qu’on s’y sent comme chez soi dans ce vieux bâtiment. Peu de temps après, on se retrouve autour de la table de conférence. Faut s’entendre : une grande table de cuisine à moitié ensevelie sous des paperasses diverses, dans une pièce où les murs ont changé de couleur à défaut d’avoir été repeints depuis les 30 dernières années. Et voilà : une quinzaine d’Argentins et de Canadiens réunis autour d’une même table à peine assez grande pour huit personnes. L’après-midi sera consacré à discuter des différents aspects notés lors de notre passage dans le village de Pueblo Federal, où j’ai eu la chance de connaître la petite Gabriela. Chacun de nous expose un thème différent aux gens du Programme social. Économie, santé, éducation, vie sociale et familiale, incidence de l’utilisation de pesticides et qualité de l’eau sont les points abordés par mes camarades. À mon tour, je discute de la gestion des forêts naturelles dans la province. Une fois la réunion terminée, il est temps de retourner au Cristo Redentor, notre domicile-hôte pour la durée de notre séjour. ¡Ciao! ¡Hasta luego! ¡Suerte! Il serait impensable de sortir de l’immeuble sans avoir d’abord salué et embrassé sur la joue tous les employés du Programme social.

Une famille loin de chez nous

Sitôt sortis du bâtiment, le bruit chaotique des voitures, la chaleur écrasante et les rues bordées de palmiers me rappellent encore que Paraná, c’est loin de Sherbrooke. Voici maintenant l’heure du moment de liberté. Le groupe se disperse et chacun s’adonne à ses bonheurs quotidiens. Quelques-uns en profitent pour lire ou écouter de la musique, d’autres pour s’activer grâce à un petit jogging ou à une marche sur la très animée rue piétonne. Le repas du soir est un moment privilégié. On discute de tout et de rien, on rigole. Dans cette ambiance amicale et festive, à chaque soir renouvelée, je me sens comme chez moi. Dans un mois, notre projet sera terminé. En secret, je me surprends à redouter le moment de ma séparation de cette nouvelle famille.

Gabriela, la petite fille du matin rencontrée au cours d'une visite dans une famille d'agriculteurs de la province d'Entre Rios, en Argentine.

Photo : Annie Lebel