Liaison, le journal de l'Université de Sherbrooke, 6 mars 2003

 

Huit compañeros au pays du maté

Journal de voyage
Écologie sans frontières en Argentine

Depuis janvier, huit étudiantes et étudiants en biologie séjournent en Argentine dans le cadre d’un stage parrainé par l’Association Écologie sans frontières. Il s’agit de Frédéric Branch, Catherine Couturier-Desrosiers, Lila Gagnon-Brambilla, Camille Rivard-Sirois, Joëlle Dugay, Marie-Pierre Maurice, Annie Lebel et Eric Bazin. Leur mission : participer à la réalisation d’études visant la préservation et la saine utilisation de l’écosystème de la province d’Entre Rios. Liaison publie des extraits de leur journal de voyage. Au fil des semaines, ils nous racontent leur quotidien, leurs impressions et nous font part de l’évolution du projet.

FRÉDÉRIC BRANCH
Collaboration spéciale

C’est après une nuit d’horreur, à tenter de dormir dans un bus ultra climatisé, que nous sommes enfin arrivés, complètement congelés, à Parana. La capitale de la province argentine d’Entre Rios, à quelque 500 km au nord de Buenos Aires, sera notre lieu de séjour pour les dix prochaines semaines. Nous étions tous très heureux de voir enfin de quoi avait l’air cette ville dont nous avions tant parlé sans vraiment la connaître. C’est Maris, une coordonnatrice de l’organisme avec lequel nous travaillerons, qui est venue nous chercher au terminus. Dès ce premier contact, nous pouvions percevoir comment on était heureux de nous accueillir ici.

Après deux jours d’acclimatation à notre nouvel environnement, Maris nous emmène rencontrer toute l’équipe du "Programma social agropecuario" (PSA). Il y avait à peine assez de place pour nous tous dans leur petite salle de conférence improvisée. C’est dans cette pièce dont le plafond tombe en écailles, au second étage d’un édifice du centre-ville, que nous avons fait connaissance avec nos nouveaux collègues. Malgré des lacunes parfois évidentes en espagnol, nous réussissons tout de même à bien fonctionner dans cet univers presque totalement unilingue.

Évidemment, dès notre arrivée, on nous offre le maté. Cette boisson nationale des Argentins est sans aucun doute la plus sociale qui soit. Le matero, celui qui prépare l’infusion, fait circuler un récipient rempli d’herbe maté et d’eau chaude. On boit à tour de rôle à travers une même paille métallique, la bombilla. Les Argentins profitent de ces moments de détente pour discuter tout en sirotant tranquillement cette boisson amère. C’est d’abord amusant de voir les Argentins se trimballer quotidiennement avec leur thermos d’eau chaude et leur sac d’herbe, mais on comprend vite pourquoi le maté est si populaire, c’est parce qu’il rapproche les gens. C’est donc autour d’un bon maté que nous nous sommes présentés à tour de rôle aux membres de l’équipe. Puis, on nous posa la question qui nous rapprocha davantage : "Quelles sont les raisons et les motivations qui vous emmènent jusqu’ici pour travailler avec nous?". Une bonne question, et c’est ce second tour de table qui me confirma que j’étais bel et bien à ma place parmi ces gens. Chacun soucieux de la situation environnementale, motivé par l’idée du développement durable et par-dessus tout allergique aux injustices sociales.

Le défi

L’objectif du PSA est de venir en aide aux petits producteurs agricoles de la province d’Entre Rios. Ces petits producteurs, quelque 9 000 familles dans la province et quelque 200 000 à travers le pays, n’ont qu’un petit bout de terre dont ils sont dépendants pour survivre. Plusieurs n’ont pas d’eau courante. Beaucoup sont illettrés et isolés les uns des autres. Il arrive souvent que certains d’entre eux doivent traverser plusieurs propriétés pour se rendre au marché afin d’y vendre leur maigre production. Inutile de dire que l’accès au système de santé dans ces conditions est difficile. C’est donc à cette portion de la population argentine que le PSA tente de venir en aide depuis 1993.

Aussi, la situation environnementale de la province ne va guère en s’améliorant. Plusieurs agriculteurs essaient d’étendre la surface cultivée pour faire face à la crise économique. Cette expansion de la zone agricole s’étend vers le nord de la province où les sols sont plus minces et moins riches. Ceci implique nécessairement une déforestation et entraîne une perte considérable de biodiversité et de stabilité écologique. De plus, puisque ces sols sont pauvres et minces, l’agriculture ne peut y être pratiquée que pour quelques années. Les champs doivent ensuite être abandonnés. Le milieu est modifié de façon irréversible et s’enclenche alors le malheureux processus de désertification. Nous sommes donc venus ici pour travailler en collaboration avec le PSA ainsi que la Faculté des sciences agropastorales de l’Université nationale d’Entre Rios. On cherche à améliorer la gestion des ressources afin de limiter les dégâts. L’idée du développement durable prend ici tout son sens.

Après avoir fait plus ample connaissance avec le PSA, nous nous sommes ensuite rendus à la Faculté des sciences agropastorales. Le doyen de la Faculté nous y attendait et nous avait organisé un accueil tout aussi chaleureux, maté compris, bien entendu. Nous avons rencontré plusieurs chercheurs de la Faculté et visité leurs laboratoires. Il m’était presque impossible de concevoir qu’on puisse y faire autant de recherche dans autant de domaines différents comme la climatologie, la phytopathologie, la pédologie et la lutte biologique avec de si petites installations. Ici, tout semble désuet, les labos et la bibliothèque sont minuscules, l’Internet est lent, mais on arrive tout de même à produire une quantité impressionnante de publications scientifiques. Le plus surprenant fut cependant de voir des chiens errants dans certains laboratoires d’analyses. Décidément, les mœurs ici sont bien différentes.

C’est en mangeant une excellente grillade argentine, l’asado, en compagnie de quelques chercheurs et du doyen que nous avons terminé cette première journée de reconnaissance. Il semble que l’accueil et l’hospitalité font partie des rares aspects de la vie des Argentins à ne pas avoir été affectés par la crise économique.

Les huit "compañeros" en compagnie d’un ingénieur agronome (à gauche), devant la Faculté des sciences agropastorales de l’Université nationale d’Entre Rios.