Liaison, le journal de l'Université de Sherbrooke, 23 août 2001
Concilier le boulot et les marmots…
Un vrai casse-tête
CATHERINE LABRECQUE
journaliste étudiante
Jean travaille 40 heures par semaine. À cette période de la mi-mars, son fils de 16 ans hésite sur le choix de son programme d’études au cégep. Jean préférerait être davantage présent pour ce moment crucial dans la vie de son fils. Confinée à l’hôpital, la mère de Jean se remet péniblement d’un infarctus. Au boulot, c’est l’enfer. Le patron de Jean lui demande de doubler sa productivité. Jean n’y arrive pas, son esprit vagabonde entre son fils et sa mère. L’entreprise où il travaille ne possède pas de mesures pour aider ses employés à concilier le travail et la famille. Comme bien d’autres entreprises, elle n’a pas encore réalisé à quel point les difficultés familiales de ses employés se répercutent au travail et qu’au bout du compte, l’entreprise en souffre.
Voilà un aperçu des conclusions de la première Enquête sur la conciliation emploi-famille chez les pères et les mères, effectuée par Charles-Henri Amherdt, professeur-chercheur à la Faculté d’éducation, en collaboration avec Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à la Télé-Université. "Cette recherche tient compte de la réalité. Aujourd’hui, un employé peut passer 20 ans à s’occuper de ses enfants et 20 autres années à s’occuper de ses parents", indique le chercheur Charles-Henri Amherdt.
Échelonnée entre 1998 et 2003, cette recherche comprend deux enquêtes. Le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche (FCAR) a subventionné la première enquête, qui s’est terminée en 2001. Environ 250 entreprises privées québécoises de toutes tailles y ont participé. "Cette première enquête a révélé que les entreprises n’ont pas encore réalisé l’ampleur du problème. Si elles reconnaissent que le stress est très répandu chez leurs employés, elles ignorent généralement que sa deuxième cause, après la surcharge de travail, est justement la difficulté à concilier emploi et famille", note Charles-Henri Amherdt. D’après cette enquête, une seule mesure de conciliation est actuellement assez bien implantée dans les entreprises, le congé pour des raisons personnelles, une mesure que l’on retrouve chez 67 % des entreprises.
Différences hommes femmes
L’étude démontre que les hommes ont tendance à détourner ces mesures à leur titre personnel. Selon la première enquête, ils ont recours aux congés d’abord pour soigner leurs bobos, ensuite pour des activités sociales et finalement pour la maladie d’un membre de leur famille. De leur côté, les femmes font d’abord appel aux congés pour la grippe ou le rhume des petits, ensuite pour leurs propres bobos et enfin lors de la maladie d’un membre de leur famille.
"On sait que les entreprises recrutent de plus en plus de diplômés universitaires. Dans six cas sur dix, elles engageront des femmes. Les entreprises devront trouver des moyens afin de garder leurs employées, qui quitteront si elles ne réussissent pas à concilier efficacité au bureau et rendez-vous chez le pédiatre", fait observer Charles-Henri Amherdt.
Enquête en ligne
La deuxième enquête, subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), est en ligne depuis le mois de juin et comporte deux étapes. La première étape consiste à recueillir de l’information des parents qui travaillent dans des entreprises publiques et parapubliques, via Internet. "J’invite les lectrices et lecteurs de Liaison à remplir le questionnaire sur la conciliation emploi-famille, disponible à l’adresse www.crievat.org. En échange de sa participation, chaque répondant pourra comparer sa situation personnelle avec celle de l’ensemble des participants à cette enquête en ligne, immédiatement après avoir complété le questionnaire", encourage Charles-Henri Amherdt.
Comme deuxième étape, les chercheurs recueillent des témoignages dans les entreprises publiques et parapubliques. "Jusqu’à présent, les résultats montrent que les gens sont de plus en plus sensibilisés à concilier le travail et la famille. Il semble que la prise de conscience de l’importance de la conciliation emploi-famille se développe simultanément avec l’émergence du modèle renouvelé de gestion des ressources humaines, qui tend à se substituer au modèle traditionnel", remarque le chercheur.
Avoir besoin de congés, c’est professionnel
"J’espère que cette recherche sur la conciliation emploi-famile sensibilisera les entreprises à prendre conscience qu’il est difficile pour les employés de concilier le travail et la famille et qu’elles implanteront les mesures nécessaires. Les entreprises doivent reconnaître que c’est un problème d’ordre professionnel", affirme Charles-Henri Amherdt.
Concilier l’efficacité au travail et la fièvre du poupon est un sujet à la fois personnel et professionnel. Selon le chercheur, l’inquiétude du personnel se répercute sur l’entreprise. Chaque employé doit gérer sa vie professionnelle et s’occuper de fiston et de maman. Les deux univers s’influencent. Si l’entreprise adopte des mesures de conciliation, elle agit sur la vie personnelle de ses employés, ce qui aura une influence positive sur l’entreprise. "Les employés ont encore honte de parler de leurs problèmes familiaux au travail. Si le sujet n’était plus tabou, les entreprises auraient davantage conscience du problème et les employés ne seraient pas forcés de faire un choix entre leur famille et leur boulot", observe le chercheur.
Charles-Henri Amherdt utilise la pensée de l’auteur Prahalad, spécialiste en matière de stratégie d’entreprise, pour décrire l’entreprise de demain : "Elle engage un employé avec ses bras, sa tête et son cœur. En adoptant des mesures qui favorisent la conciliation emploi-famille, l’entreprise du futur pourra compter sur des employés présents sur leur lieu de travail avec leur force, leur raison et leurs émotions."
Cette année, le Conseil du statut de la femme du Québec reconnaîtra l’effort déployé par les entreprises qui implantent des mesures de conciliation en attribuant la norme ISO-Familles. Le prix ISO-Familles est un prix d’excellence destiné aux PME, aux grandes entreprises et aux institutions du secteur parapublic du Québec.
Concilier le travail et la vie de famille est souvent un joyeux casse-tête pour les parents. C’est le sujet sur lequel se penche le professeur-chercheur Charles-Henri Amherdt. À l’arrière-plan, Julien Faure-Levesque (fils de Bruno Levesque, du Bureau des communications). Photo SSE : Roger Lafontaine |