Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau à l'occasion de l'édition 1996 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Pour souligner cette réussite, LIAISON vous présente aujourd'hui le portrait d'un des neuf récipiendaires de ces subventions.

Une guerre à finir contre le cancer du sein

Une femme sur neuf souffrira du cancer du sein au cours de sa vie. Dans une étude réalisée en 1995, Statistique Canada indique que l'incidence de ce cancer a augmenté ces dernières années bien que le taux de mortalité soit à peu près stable.

Il semblerait que l'amélioration du rapport entre le pourcentage de décès et le nombre de cas diagnostiqués soit en grande partie attribuable au dépistage précoce ainsi qu'à l'amélioration du traitement. La bataille est toutefois loin d'être gagnée contre le cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme.

À Sherbrooke, une équipe de chercheurs dirigée par Benoît Paquette, professeur au Département de médecine nucléaire, tente actuellement de cerner le rôle de l'instabilité génomique provoquée par l'hormone féminine 17ß-oestradiol dans le développement du cancer du sein et d'une résistance au méthotréxate, un agent chimiothérapeutique.

Question d'ambiance

C'est connu, plusieurs facteurs sont impliqués dans le cancer du sein. Il n'existe donc pas de facteur unique responsable de la maladie. On sait déjà que les femmes se trouvant dans les groupes suivants ont une probabilité plus élevée que la moyenne de développer ce type de dérèglement :

- les femmes sans enfant ou dont le premier enfant a été conçu après l'âge de 30 ans;

- les femmes dont la grand-mère maternelle, la mère ou la soeur ont développé un cancer du sein surtout si elles étaient préménopausées au moment du diagnostic;

- les femmes ayant déjà eu un cancer du sein, de l'ovaire et/ou de l'endomètre;

- les femmes dont les premières règles sont apparues avant l'âge de 12 ans ou qui ont été ménopausées après l'âge de 55 ans. Ce phénomène est associé à une exposition plus prolongée de la femme aux estrogènes, des hormones féminines.

Après la ménopause, les cellules du sein sont <<plus tranquilles>> à cause des très faibles concentrations sanguines en estrogènes et en progestérone. Cette faible activité de division cellulaire diminue alors la probabilité d'accumuler des mutations. <<Par conséquent, une hormonothérapie à base d'estrogènes après la ménopause pourrait augmenter légèrement le risque de développer un cancer du sein>>, soutient Benoît Paquette.

Où il est question de désordre

La cellule cancéreuse est une cellule anormale qui se reproduit, se reproduit... indéfiniment dans le chaos le plus complet. Échappant totalement aux lois qui régissent l'équilibre des tissus, elle fonctionne pour son compte, allant jusqu'à opérer des mutations dans son ADN. Après dix dédoublements, l'unique cellule transformée est devenue une population de 1000 cellules tumorales. Vingt dédoublements cellulaires plus tard, on parle de 1 million de cellules tumorales soit un milligramme de tissu cancéreux.

Comme l'explique Benoît Paquette : <<L'apparition d'une tumeur dépend de l'accumulation d'un nombre suffisant de mutations, sans regard à la séquence précise d'arrivée de celles-ci.>> Agressives, les cellules cancéreuses font la guerre à l'organe sur lequel elles s'implantent, le détruisant peu à peu.

<<Dans le cas du cancer du sein, le type de tumeur qu'on appelle primaire répond bien aux traitements de chimiothérapie, poursuit le chercheur. Après quelques années d'un premier traitement, il arrive que les cellules cancéreuses réapparaissent. Elles se sont transportées ailleurs dans l'organisme, envahissant et infiltrant les tissus avoisinants. Elles ont créé des métastases. Il devient alors beaucoup plus difficile d'obtenir du succès avec la chimiothérapie.>>

Deux scénarios sont donc possibles pour la cellule cancéreuse. Destruction totale par la chimiothérapie ou réorganisation de son ADN en vue de résister à la chimiothérapie. On se réorganise et on déménage, quoi! <<L'instabilité génomique de la cellule s'installe quand elle a acquis de nouvelles mutations de son ADN. Ce phénotype d'instabilité génomique peut causer sa mort mais peut également renforcer son système de défense, la rendant encore plus difficile à détruire. Nos recherches démontrent que les estrogènes se trouvent parmi les éléments qui stimulent l'instabilité génomique. Au lieu de causer sa mort, l'estrogène rend la cellule plus résistante à la chimiothérapie.>>

Des essais de plus en plus concluants

Le principal composé de l'estrogène est l'estradiol qui est produit principalement par les ovaires. En laboratoire, l'estradiol a démontré sa capacité de stimuler la transformation cellulaire lors d'essais in vitro et in vivo.

<<Les trois autres coupables seraient les métabolites 2-, 4- et 16[[infinity]] hydroxyestrones, ajoute le chercheur. À ce jour, nos recherches démontrent que ces métabolites stimulent l'apparition d'une résistance au méthotréxate dans les cellules cancéreuses du sein.>>

Le chercheur illustre son propos à l'aide de deux boîtes de Petri. À l'intérieur de la première, des cellules cancéreuses humaines traitées avec la chimiothérapie. Difficile de voir quoi que ce soit, toutes les cellules ont été détruites. Dans la seconde boîte, des cellules cancéreuses humaines auxquelles on a ajouté cette fois une certaine quantité de 16[[infinity]] hydroxyestrone ainsi qu'un traitement de chimio. Le résultat est visible : prolifération et résistance d'une certaine quantité de cellules. Juste assez en fait pour causer des dégâts dans l'organisme qui les abrite.

La prochaine étape de l'équipe de recherche consistera à vérifier le même phénomène mais chez des souris. <<En découvrant par quel mécanisme les estrogènes stimulent l'instabilité de l'ADN, nous espérons pouvoir suggérer des approches cliniques qui empêcheraient cette résistance au méthotréxate, conclut Benoît Paquette. Peut-être qu'en utilisant une combinaison d'un anti-estrogène et d'un anti-oxydant arriverons-nous à ralentir l'instabilité génomique des cellules cancéreuses.>>

Hélène Goudreau

Vignettes

Pascale Banville, étudiante à la maîtrise en radiobiologie, Suzanne Kocsis-Bédard, technicienne, et Paul Thibodeau, étudiant au doctorat, font partie de l'équipe de recherche de Benoît Paquette, professeur-chercheur au Département de médecine nucléaire. Le FCAR lui a accordé 42 000 $ pour poursuivre ses recherches sur le rôle de l'instabilité génomique provoquée par l'hormone féminine 17ß-oestradiol dans le développement du cancer du sein et d'une résistance au méthotréxate.

Suzanne Kocsis-Bédard, Benoît Paquette, Pascale Banville et Paul Thibodeau examinent un autoradiogramme démontrant l'activité d'un gène.

Benoît Paquette illustre son propos à l'aide de boîtes de Petri. Alors que les cellules cancéreuses humaines traitées avec la chimiothérapie ont été détruites, celles auxquelles on a ajouté une certaine quantité de 16[[infinity]] hydroxyestrone ainsi qu'un traitement de chimio ont proliféré et semblent avoir développé une certaine résistance.