Art : une histoire d'hommes... sous la plume d'une jeune femme

Récipiendaire de deux prix Molière en France, la pièce Art, de Yasmina Reza, cette jeune dramaturge chérie de nos cousins français, fait courir les foules à Paris depuis sa toute première représentation en 1994. C'est aussi après avoir bouleversé, dérangé et fait rire les Montréalais au Théâtre du Rideau Vert l'été dernier que la pièce part en tournée et s'arrête à la Salle Maurice-O'Bready le 14 octobre, offrant ainsi au public sherbrookois un véritable délice pour l'esprit, le coeur... et la rate.

Art, c'est en fait l'histoire de trois copains : Serge (Michel Rivard), dermatologue et amateur d'art moderne, Marc (Robert Lalonde), ingénieur et plutôt conservateur, et Yvan (Jacques Girard), employé d'une papeterie et abonné à son psychothérapeute. Unis depuis quinze ans, ces hommes voient leur amitié secouée à la suite de l'achat que fait Serge d'une oeuvre abstraite et monochrome. Cette oeuvre, une toile uniformément blanche payée au prix fort de 57 000 $, plonge les copains au beau milieu d'une tempête qu'ils n'avaient pas prévue. Ils ne seront alors plus jamais les mêmes, le regard qu'ils posent sur l'autre étant dorénavant transformé au fil de leurs joutes verbales remplies de sous-entendus et où chacun finit par enlever le masque qu'il porte depuis tant d'années. De fait, l'art n'est alors qu'un prétexte pour parler d'amitié, oui, mais aussi de masculinité, de modernité et de l'abîme qui nous sépare des gens que l'on aime ou que l'on croit aimer.

Sur scène, Art permet aussi la rencontre de trois grands comédiens d'ici. Robert Lalonde est superbe en bourgeois conformiste et Jacques Girard offre un brillant numéro d'acteur. Quant à Michel Rivard, il reprend, pour notre plus grand plaisir, les planches après treize ans d'absence, dans le rôle de Serge d'abord créé par Marc Labrèche. La mise en scène québécoise de la pièce, habile et rythmée, est signée Claude Poissant et l'aménagement du texte français est de Normand Canac-Marquis.

Manon Côté