Le monde universitaire attend-il de ses

professeures-chercheuses qu'elles soient des superfemmes?

Un comité ad hoc a réalisé une étude lui soulignant l'urgence de sensibiliser la communauté universitaire aux conditions professionnelles et familiales des professeures-chercheuses à l'Université de Sherbrooke.

L'étude, portant sur la conciliation des rôles familiaux et professionnels des professeures-chercheuses à l'Université, arrivait à la conclusion suivante : trop souvent sous l'emprise de la double contrainte d'être à la fois des mères et des professionnelles exemplaires, les femmes s'investissent énormément dans toutes les sphères de leur vie comme si on attendait d'elles qu'elles soient des superfemmes. Ce surmenage comporte des risques importants à la fois pour la vie familiale et professionnelle, l'une et l'autre pouvant céder sous le poids de la tension et de l'épuisement. Le monde universitaire attend-il vraiment de ses professeures-chercheuses qu'elles se transforment en superfemmes?

C'est la question que se pose encore aujourd'hui Martin Buteau, vice-doyen à la Faculté d'administration et président du comité de travail ayant réalisé cette étude à la demande du vice-recteur à la recherche, Alain Caillé. Le groupe de travail réunissait Jacques Oliva Bélair, directeur du Bureau de la recherche, Reine Gagnon, vice-doyenne à la recherche à la Faculté des sciences, Christine Moresoli, professeure à la Faculté des sciences appliquées, et Marie-Thérèse Vinet, professeure à la Faculté des lettres et sciences humaines.

Les travaux de Martin Buteau et de son équipe doivent contribuer à l'actualisation de la Politique d'accès à l'égalité, adoptée en 1993, visant à assurer une représentation équitable des femmes dans les secteurs d'emplois où elles sont sous-représentées.

Sous-représentation féminine

Dans un premier temps, le comité de travail a dressé, à l'aide de données statistiques, un portrait sommaire de la situation d'emploi des femmes professeures-chercheuses au sein du corps professoral. Ce qu'il en ressort principalement : au 31 mai 1994, les femmes étaient sous-représentées dans 38 départements sur 41 et deux départements seulement affichaient un taux de représentation féminine s'approchant de la mixité (entre 40 et 60 p. 100). Au total, le personnel enseignant comptait 591 hommes et 117 femmes. Selon le Bureau de la recherche, sur ces 117 femmes, 43 d'entre elles, soit 37 p. 100, avaient obtenu du financement pour des fins de recherche au cours de l'année 1993-1994 alors que chez les hommes, la proportion s'élevait à 51 p. 100.

Afin d'expliquer cet écart entre les hommes et les femmes ayant obtenu du financement, Reine Gagnon soutient qu'il faut, entre autres, considérer les caractéristiques des projets présentés par les femmes en relation avec la vision de la recherche des membres des comités de sélection des organismes subventionnaires. Souvent, les schèmes de pensée, les méthodologies et les idées sur lesquels s'appuient les projets des femmes apparaissent excentriques, ou à tout le moins différents par rapport à l'ensemble. Ce qui ne les empêchent pas d'être valables, s'empresse de préciser Reine Gagnon. Cependant, jusqu'à très récemment, les membres des comités de sélection étaient majoritairement des hommes dans la quarantaine avancée ayant une réputation bien établie et une vision plus masculine de la recherche. De ce fait, leur perception de la chance de réussite des projets soumis par les femmes est souvent plus faible, d'où leur réticence à les financer.

Après avoir dressé le portrait de la situation d'emploi des professeures-chercheuses, Martin Buteau et ses collègues se sont efforcés de préciser les problèmes que ces femmes vivaient dans leurs efforts afin de concilier leur vie professionnelle et familiale. Pour ce faire, le comité s'est appuyé sur les résultats d'une recherche sur les perceptions et les pratiques des mères en emploi menée par Christine Corbeil, Francine Descarries, Carmen Gill et Céline Séguin, professeures à l'Université du Québec à Montréal.

Superfemmes au travail

Voici un résumé des constats ayant particulièrement retenu l'attention des membres du comité en raison de leur concordance avec les témoignages des chercheuses à l'Université de Sherbrooke. Premièrement, les femmes consacrent une fois et demie plus de temps aux travaux domestiques que leur conjoint. Elles demeurent également les premières à assumer les tâches associées à l'éducation des enfants, à leur santé et à leur hygiène.

Deuxièmement, les femmes gèrent leur temps en famille à partir des exigences que leur impose leur travail et non l'inverse. Troisièmement, une forte majorité de femmes considèrent que les milieux de travail encouragent ces inégalités par leur absence d'ouverture quant aux valeurs et aux responsabilités familiales. Dans plusieurs milieux, les femmes doivent offrir une performance supérieure pour obtenir la même reconnaissance que les hommes. <<Certaines s'y sont habituées, souligne Reine Gagnon, à un point tel d'ailleurs qu'elles refusent d'admettre cette réalité-là et exigent même quelquefois des performances semblables de leurs consoeurs.>>

Martin Buteau déplore le fait que dans le monde universitaire, les critères manquent souvent de précision quant à la nature de la performance exigée. Par exemple, la participation à des rencontres le soir et la fin de semaine ou encore le fait d'accepter de donner des cours en soirée sont-ils des nécessités pour être jugé productif? <<Il faut être conscient des exigences de la vie familiale, insiste Reine Gagnon. Le travail en soirée et de fin de semaine pose souvent aux femmes plus de problèmes qu'aux hommes.>> Martin Buteau ajoute que le problème peut également se manifester chez les professeurs pères de jeunes enfants.

Les deux représentants du comité se demandent également dans quelle mesure on considère ce double rôle de mère et de professeure dans l'attribution de promotions. Dans l'étude de dossier, les congés de maternité sont parfois perçus comme des périodes creuses, qui, en s'additionnant, peuvent finir par mettre une professeure hors circuit. En sciences et en génie, poursuit Reine Gagnon, les femmes sont encore peu nombreuses à entreprendre des études de deuxième et de troisième cycle. Le dilemme entre la famille et les études finit toujours par s'imposer.

Afin d'améliorer la condition des femmes professeures-chercheuses, le comité présidé par Martin Buteau terminait son rapport en proposant une série de mesures, notamment celle incitant la direction de l'Université à entreprendre auprès des membres de la communauté universitaire un processus de sensibilisation sur les difficultés associées à la conciliation des rôles professionnels et familiaux.

Marie-Claude Poulin

Vignette

Martin Buteau, vice-doyen à la Faculté d'administration, et Reine Gagnon, vice-doyenne à la Faculté des sciences, font partie d'un comité ad hoc qui a réalisé une étude sur la conciliation des rôles familiaux et professionnels des professeures-chercheuses à l'Université.