La recherche universitaire

Alain Caillé occupe le poste de vice-recteur à la recherche depuis sept ans. Ce physicien émérite, membre de l'Académie des sciences de la Société royale du Canada, poursuit ses recherches malgré un emploi du temps que l'on devine chargé.

Fait notable, Alain Caillé enseigne à l'occasion et dirige des étudiants aux cycles supérieurs. Il a d'ailleurs reçu l'an dernier une mention de reconnaissance pour la qualité de son enseignement de l'Association générale des étudiantes et étudiants en sciences de l'Université de Sherbrooke. Alain Caillé occupe en outre diverses charges au sein d'organisations d'importance, notamment le Conseil d'administration des fonds FCAR. Il a oeuvré au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada de 1983 à 1989 et en 1992-1993. LIAISON lui a demandé de livrer sa perception de la place que devrait occuper la recherche dans la société et à l'université.

LIAISON - La recherche ne gagne pas la faveur de chacun à l'intérieur même de la communauté universitaire. Pourquoi?

A.C. - En effet, la recherche y suscite parfois des propos amers. Certains jugent, par exemple, que le corps professoral fait de la recherche au détriment de l'enseignement. Il s'agit là, à mon sens, d'une appréciation injuste du rôle que joue la recherche et globalement, d'un jugement qui ne s'appuie sur aucune étude.

LIAISON - Quel est-il, ce rôle?

A.C. - C'est un rôle multiple, mais l'une des facettes de ce rôle influera, je crois, sur l'avenir même des universités. Les enjeux changent. Les diplômes universitaires de 1er cycle ne garantissent plus un emploi, tandis que les programmes techniques du collégial gagnent en popularité. Les universités verront sans doute leur rôle se déplacer de plus en plus vers la recherche et la formation aux cycles supérieurs.

Or à quoi servent les subventions de recherche? Essentiellement à rémunérer le personnel, en l'occurrence des étudiantes et étudiants. Cet argent représente souvent l'unique support financier leur permettant de poursuivre une formation aux cycles supérieurs. Il faut savoir également que seulement 15 p. 100 des étudiantes et étudiants inscrits aux études supérieures bénéficient d'une bourse de recherche d'un organisme subventionnaire.

En favorisant la recherche, les universités assurent aussi la relève du corps professoral, car pour occuper un poste de professeur ou de professeure, une personne doit non seulement avoir complété des études doctorales, voire postdoctorales, mais encore avoir mené activement des projets de recherche et en avoir publié les résultats.

LIAISON - Comment devient-on, justement, chercheur ou chercheuse universitaire?

A.C. - Grâce à bon nombre de sacrifices! Un jeune professeur, qui débute sa carrière au début de la trentaine, a nécessairement consacré beaucoup de temps et d'argent à ses études. Les compromis m'apparaissent inévitables, notamment en ce qui a trait, le cas échéant, à la famille. Au cours des deux ou trois premières années en poste, le nouveau professeur doit consacrer une grande partie de sa tâche à s'établir en enseignement. En parallèle, il doit commencer à mener de façon autonome des projets de recherche.

De nos jours, qui pense recherche doit également songer aux demandes de subvention. Le jeune professeur doit obtenir, de l'extérieur de l'université, les fonds nécessaires à la poursuite de ses travaux de recherche. Pour arriver à décrocher une subvention, sa recherche doit se démarquer, la concurrence pour recevoir une aide financière s'avérant de plus en plus forte. Ce qui est tout à fait compréhensible dans le contexte de restriction budgétaire auquel les conseils subventionnaires sont également soumis. Les universités fournissent une faible proportion des sommes consacrées aux dépenses directes de la recherche. L'Université de Sherbrooke, par exemple, alloue cette année environ 1,3 million de dollars sur les 22 millions de dollars de cette enveloppe budgétaire.

Une autre caractéristique de la vie de chercheur ou de chercheuse est la quantité d'efforts qu'il faut consacrer à cette profession. L'avancement même des connaissances dans son champ d'investigation oblige la chercheuse ou le chercheur à se tenir constamment à jour. Généralement, l'université qui l'engage s'attend à ce qu'il obtienne des subventions pour ses recherches si ses besoins le demandent ou le justifient. Enfin, les professeures et professeurs ont une responsabilité face à leurs étudiantes et étudiants : ils deviennent, en quelque sorte, des chefs d'entreprise et la carrière de leurs étudiantes et étudiants dépend en partie d'eux non seulement d'un point de vue scientifique, mais aussi d'un point de vue financier.

LIAISON - Une occupation très prenante, en somme...

A.C. - Sans compter que les chercheuses et chercheurs sont sûrement ce qu'il y a de plus évalué au monde! Ils sont évalués non seulement par leurs étudiantes et étudiants, mais encore par les organismes qui subventionnent, par des pairs souvent inconnus lors de la présentation de publications, par ceux qui emploient les étudiantes et étudiants qu'ils ont dirigés, etc.

LIAISON - Comment envisagez-vous le devenir de la recherche universitaire?

A.C. - Je l'envisage à la fois avec optimisme et inquiétude. Les universités s'engagent dans un tournant depuis les dix dernières années : la recherche occupe une place de plus en plus importante dans chaque faculté. Toutefois, le contexte actuel de compressions budgétaires risque de réfréner brutalement les facultés. En fait, l'avenir de la recherche tient surtout à l'importance que lui accordent les institutions. Qu'elles lui consacrent environ 0,5 p. 100 de leur budget global constitue, à mon sens, une manoeuvre dangereuse, voire de l'inconscience; qu'elles réduisent uniformément les ressources pécuniaires des facultés sans tenir compte de l'intensité des recherches que le corps professoral y mène me semble tout aussi hasardeux.

J'ai quand même bon espoir que les facultés, malgré les compressions budgétaires, ne délaisseront pas la recherche. S'il en va ainsi, dans une dizaine d'années encore, les facultés pourraient franchir le tournant sans heurt, et la recherche pourrait vraisemblablement occuper une place d'égale importance dans chacune d'elles. La continuité de la recherche universitaire m'apparaît d'autant plus importante qu'on y a investi énormément d'argent depuis deux décennies, quelques dizaines de milliards pour l'ensemble du Québec, lorsqu'on tient compte des coûts directs et indirects.

J'aimerais ajouter qu'il existe probablement très peu d'activités qui apportent autant de satisfaction. Pour moi, chaque instant consacré à la recherche a été non seulement l'occasion d'un dépassement, mais un plaisir constamment renouvelé.

Daniel Morin

Vignette

Alain Caillé, vice-recteur à la recherche, vient d'obtenir le grand prix Léon-Lortie pour l'année 1995-1996. Ce prix est attribué chaque année à une personnalité qui s'illustre dans le domaine des sciences pures et appliquées.