Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau à l'occasion de l'édition 1995 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Les montants octroyés à l'Université de Sherbrooke ont été deux fois plus importants qu'aurait pu le laisser présager la taille de l'établissement. LIAISON poursuit cet automne une série de reportages sur les récipiendaires de ces subventions.

Armande Saint-Jean

Éthique et journalisme

L'exemple est fictif. Un fou armé fait irruption dans un bar du centre-ville de Montréal. Il tire à gauche et à droite. Une quinzaine de victimes tombent sous ses balles avant que les forces de l'ordre n'interviennent et appréhendent l'individu. Bilan : trois personnes décédées et une dizaine blessées gravement. Les autres clientes et clients du bar s'en tirent avec des blessures mineures et un choc nerveux.

Comment les journalistes accourus sur les lieux vont-ils traiter cette nouvelle? Vont-ils prendre des photos des victimes? Des gros plans? Vont-ils nommer ces victimes et étaler à pleines pages le drame de chacune de leurs familles? Vont-ils fouiller la vie antérieure de l'agresseur? Tenter d'interviewer son père, sa mère ou son épouse?

Heureusement, de tels drames sont plutôt rares et les journalistes ne sont pas constamment placés devant ce genre de dilemme. Mais, selon Armande Saint-Jean, professeure au Département des lettres et communications, des décisions faisant appel à l'éthique des journalistes sont prises chaque jour dans les salles de presse du Québec. Il ne s'agit pas toujours de cas aussi spectaculaires et lourds de conséquences, mais de tels choix sont fréquents. Pourtant, les outils pour les faire sont encore mal connus. Il n'y a pas à proprement parler de règles de fonctionnement à ce sujet. La tradition déontologique s'est établie au fil du temps. Quelques repères sont venus de l'usage, mais ils sont pour la plupart du temps verbaux. <<Peu de recherches ont porté sur la posture éthique, sur les valeurs morales des journalistes d'ici dans l'exercice de leur profession>>, constate la professeure et ex-journaliste.

Grâce à la subvention qu'elle reçoit du FCAR, Armande Saint-Jean compte définir sur quels fondements les journalistes s'appuient pour leurs décisions morales et, dans un deuxième temps, voir dans quelle direction la profession journalistique évolue en matière d'éthique.

Car, selon Armande Saint-Jean, la posture éthique des journalistes a évolué avec les années. Et elle va continuer à évoluer, postule-t-elle. La prédominance de l'information télévisée, l'accès à d'immenses bases de données électroniques et à Internet, la présence de plus en plus sentie des agentes et agents de relations publiques et l'attrait du spectaculaire ne sont que quelques-uns des phénomènes susceptibles de faire évoluer l'éthique des journalistes et des médias.

Pour évaluer la posture éthique des journalistes en ce moment, Armande Saint-Jean a décidé de faire une enquête auprès des journalistes. Un questionnaire de 32 pages a été envoyé à des journalistes oeuvrant dans divers types de médias partout au Québec. Plus de 600 questionnaires ont été retournés dûment remplis.

L'analyse de ces réponses permettra à Armande Saint-Jean et son équipe d'identifier un certain nombre de repères importants pour savoir quelles sont les valeurs les plus significatives aux yeux des journalistes, quelles pratiques ils valorisent, comment ils définissent leur rôle et la place des médias dans la société.

Dans un deuxième temps, Armande Saint-Jean compte effectuer des séjours d'observation au sein même des entreprises de presse pour vérifier comment sont traités les dilemmes éthiques. <<Je veux savoir quels sont les référents sur lesquels les journalistes se basent pour prendre leurs décisions. On dit que c'est le code moral personnel de chacun, mais comment s'est construit ce code moral? S'agit-il de la perception qu'ils ont de ce qui est en usage dans la profession? Est-ce un guide qui leur a été remis pendant leurs études ou encore les décisions du Conseil de presse?>>, questionne la chercheuse.

Finalement, Armande Saint-Jean estime que ses recherches pourraient permettre de prévoir les prochains changements dans la posture éthique des journalistes. <<Quand nous saurons à quoi les journalistes croient aujourd'hui, nous pourrons identifier les référents moraux sur lesquels ils s'appuient selon les types de dilemmes qui se posent dans leur pratique professionnelle>>, explique Armande Saint-Jean.

En mettant à jour les composantes essentielles de l'éthique journalistique et les facteurs qui ont le plus grand effet sur son évolution, les travaux d'Armande Saint-Jean apporteront non seulement un éclairage nouveau sur le journalisme au Québec, mais ils fourniront aussi des instruments susceptibles d'avoir un impact important sur la pratique de cette profession.

Bruno Levesque

Vignette

Professeure au Département des lettres et communications, Armande Saint-Jean tente par ses recherches d'établir les règles que suivent les journalistes du Québec ou les outils qu'ils utilisent pour résoudre leurs dilemmes éthiques.