Pousse-toi, c'est ma place

Les étudiants masculins bénéficient-ils de préjugés favorables de la part de leurs professeurs? Si les étudiantes ont de la difficulté à prendre la parole dans un groupe, est-ce par timidité ou parce qu'elles se sentent moins considérées? Les garçons sont-ils plus paresseux, laissant le gros du travail d'équipe à leurs consoeurs? Les filles s'approprient-elles encore la rédaction des travaux dans une équipe, tâche stéréotypée s'il en est?

C'est ce qu'a tenté de savoir la direction de la Faculté des lettres et sciences humaines en commandant une étude sur la discrimination vécue par les étudiantes des 2e et 3e cycles de la Faculté des lettres et sciences humaines. L'enquête a été menée par Julie Boudreau, étudiante à la maîtrise en études françaises, de février à juin 1996.

De type exploratoire, l'enquête avait pour objet d'identifier les situations de discrimination vécues par les étudiantes des cycles supérieurs. <<Sans en avoir identifié précisément avant l'enquête, souligne Julie, on croyait à l'existence possible de situations de discrimination.>>

Prendre sa place

En résumé, les principaux problèmes soulignés par les répondantes sont le manque d'attention, la difficulté à prendre la parole, les remarques et les plaisanteries sexistes et la non-reconnaissance de la contribution des femmes.

<<Nous avons également relevé plusieurs commentaires d'étudiantes, ajoute Julie. Ils concernent les tâches stéréotypées, la contribution plus faible des hommes dans les travaux d'équipe, la crainte de ne pas réussir, le harcèlement sexuel, les difficultés reliées au fait d'être une mère aux études, les remarques blessantes sur le mouvement des femmes, la faible proportion de professeures et finalement le fait que les étudiants masculins obtiennent davantage de contrats de travail.>>

<<À certains égards, les résultats sont rassurants, observe Normand Wener, doyen de la FLSH, dans une lettre accompagnant le rapport. L'enquête ne met pas en évidence, de façon globale, une situation et des conditions d'études où la discrimination envers les femmes étudiantes serait un phénomène courant, généralisé et systématique. Au contraire, les résultats semblent montrer que sur certains indicateurs, la discrimination est pour ainsi dire inexistante.

<<Pour certains indicateurs, poursuit-il, des difficultés sont vécues par les femmes comme la difficulté à prendre la parole ou la contribution inégale aux travaux d'équipe sans que l'on sache si des difficultés similaires ne seraient pas ressenties tout autant par les hommes. Dans d'autres cas, toutefois, les difficultés identifiées semblent bien le propre des femmes étudiantes et même si les chiffres ne sont pas effarants, des actions devront être entreprises. C'est le cas, notamment, du harcèlement sexuel et des comportements sexistes qui, même en proportion modérée, demeurent inacceptables.>> C'est également le cas aussi de la situation des étudiantes-mères dont LIAISON a fait état dans un précédent numéro.

Portraits d'étudiantes

Parmi les 631 étudiantes et étudiants inscrits aux 2e et 3e cycles de la FLSH pour le trimestre d'hiver 1996, 58 p. 100 sont des femmes. La majorité d'entre elles, 90 p. 100, sont inscrites à la maîtrise, les autres poursuivent des études de doctorat.

C'est à l'aide d'entrevues de groupe, d'entrevues téléphoniques et d'un questionnaire, dont le taux de réponse a été de 46,7 p. 100, que Julie Boudreau a procédé à la cueillette des données.

<<Afin de connaître l'importance quantitative des situations discriminatoires vécues par les étudiantes, explique-t-elle, nous avons bâti un questionnaire contenant principalement des questions fermées. Quelques sous-questions à réponses libres ont été incluses pour rendre l'analyse des résultats plus raffinée qu'une simple présentation de données statistiques.>>

Les étudiantes ayant reçu le questionnaire provenaient de chacun des programmes de la FLSH. Elles se situaient à différentes étapes de leur formation (propédeutique, scolarité ou rédaction) et n'avaient pas participé aux entrevues de groupe ou aux entrevues téléphoniques.

En tout, 76 étudiantes ont participé à l'enquête, que ce soit par le biais des entrevues de groupes, des entrevues téléphoniques ou du questionnaire. Ce nombre représente un peu moins du quart des étudiantes inscrites aux programmes de 2e et 3e cycles de la FLSH.

Par manque d'attention

Dans des recherches menées dans l'éducation de niveau postsecondaire sur la discrimination, Mira et David Sadker ont constaté que souvent, le personnel enseignant interagit davantage avec les étudiants, leur accordant plus d'attention. Selon eux, ce surplus d'intérêt se manifeste par des encouragements, des conseils et des explications supplémentaires ainsi que par des attentions et des taquineries particulières. Est-ce une situation qu'on retrouve à la FLSH?

Comme le révèle le rapport : <<Seulement 10 p. 100 des étudiantes estiment qu'un surplus d'attention est accordé aux hommes. Selon celles-ci, cet intérêt se caractérise surtout par des encouragements supplémentaires (2,3 p. 100) et des attentions particulières (2,3 p. 100) et également, dans une proportion moins grande, par des conseils et explications supplémentaires (1,5 p. 100), des taquineries particulières (1,5 p. 100), en faisant d'abord répondre les mains levées masculines (0,8 p. 100), en prêtant d'abord de la documentation aux hommes (0,8 p. 100) et par une plus grande affection des responsables vis-à-vis des étudiants (0,8 p. 100).>>

Difficile de parler

<<J'ai essayé de nuancer cette partie dans le rapport que j'ai remis au doyen, souligne la jeune chercheuse. Comme je n'ai pas vérifié du côté des garçons, nous ne pouvons affirmer que la difficulté de prendre la parole dans un groupe est liée au sexe et non pas à un trait de caractère comme la timidité.>>

Un bon nombre de répondantes, soit 42 p. 100, n'osent pas poser des questions ou apporter des commentaires de peur que leurs propos soient considérés comme non pertinents.

Trop belle pour être brillante

Pour une forte proportion des répondantes (75 p. 100), les remarques et les plaisanteries sexistes semblent absentes des séminaires ou de leurs rencontres individuelles. <<En fait, le quart des répondantes entendent des propos sexistes, habituellement formulés par des hommes (58 p. 100 du temps par des étudiants et 21 p. 100 par des professeurs), révèle le rapport. Toutefois, les étudiantes sont aussi les auteures de tels propos dans 21 p. 100 des cas. Selon quelques participantes aux entrevues, ces remarques sont surtout énoncées lors des pauses-café.>>

<<Nous pensions que l'environnement des étudiantes des programmes majoritairement masculins serait plus propice à l'émergence de remarques sexistes, étant donné que les auteurs de ces propos sont souvent des hommes, observe Julie. Cependant, ce n'est pas ce qui ressort de notre analyse. Au contraire, ce sont les étudiantes des programmes à forte concentration féminine qui entendent davantage ce genre de propos (27 p. 100), alors que c'est le cas de 21 p. 100 des étudiantes des programmes à majorité masculine. Pourtant, lors des entrevues, ce problème semblait plus présent chez ces dernières où les remarques sexistes contiennent souvent des allusions à la sexualité.>>

Contribution des femmes

Plus de 90 p. 100 des répondantes pensent qu'il est important de souligner la contribution des femmes, et ce, pour plusieurs raisons : en vertu de l'égalité entre les sexes, parce que toute contribution à l'avancement d'un domaine précis est importante (25 p. 100); parce que les femmes ont une vision des phénomènes différente de celle des hommes (15 p. 100); pour avoir un portrait complet d'une science particulière sans censure de sexe, afin de créer des modèles de référence positifs (13 p. 100); et aussi pour comprendre le questionnement féministe (2 p. 100).

Pour ce qui concerne les travaux d'équipe, les résultats de l'enquête indiquent qu'une bonne partie des étudiantes assument souvent des tâches passives, prenant des notes, rédigeant les travaux et s'occupant du traitement de texte. Plus de 80 p. 100 d'entre elles donnent leur opinion et prennent des décisions. La présentation orale est effectuée par 42 p. 100 des répondantes. <<Les résultats démontrent que les étudiantes se chargent de plusieurs tâches à la fois, étant donné les hauts pourcentages reliés à chacune, tout en privilégiant les tâches actives, traditionnellement masculines>>, souligne Julie.

Harcèlement sexuel

Grande question de l'heure que tout le monde se pose : les étudiantes vivent-elles du harcèlement sexuel?

Près de 15 p. 100 des répondantes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel comme de se faire déshabiller des yeux (6 p. 100), d'être la cible de propositions sexuelles non désirées, de remarques blessantes sur l'apparence physique (2 p. 100) du genre <<c'est dommage, aussi intelligente et d'avoir un aussi beau cul, un beau cul ne devrait jamais parler>>, (propos mentionnés par une répondante), de propos axés sur le potentiel sexuel, d'être témoin d'exhibitionnisme et de supporter des attouchements non désirés (1 p. 100).

Plus de contrats aux hommes?

Julie Boudreau a consulté la liste des étudiantes et des étudiants engagés au cours de l'année 1995. Les écarts sont minimes en ce qui a trait aux charges de cours, car 2,9 p. 100 des étudiants ont été embauchés comme chargés de cours, alors que c'est le cas de 2,7 p. 100 des étudiantes. <<Les écarts sont toutefois plus frappants pour les emplois d'assistant ou d'assistante de recherche, précise le rapport (19,7 p. 100 d'hommes et 15,7 p. 100 de femmes), et d'auxiliaire d'enseignement (13,4 p. 100 d'hommes et 7,4 p. 100 de femmes).>>

Y a-t-il vraiment discrimination?

<<Les résultats de notre enquête ne peuvent pas être généralisés à l'ensemble de la clientèle féminine des cycles supérieurs puisqu'une sélection naturelle s'est opérée dans le choix des candidates, conclut Julie. De la même façon, les problèmes rencontrés par les répondantes peuvent être différents de ceux que vivent les étudiantes n'ayant pas été sélectionnées. Cependant, nous croyons que les informations recueillies donnent un portrait réaliste des situations discriminatoires que peuvent vivre les étudiantes des cycles supérieurs.>>

Pour sa part, Julie Boudreau a vécu cette première expérience d'enquête sur le terrain comme une occasion de se sensibiliser au problème de discrimination que peuvent vivre certaines femmes. <<À la lumière de ces résultats, je me suis demandé s'il existait vraiment des situations discriminantes à la FLSH ou si les étudiantes étaient carrément inconscientes de ce qu'elles vivaient. Peut-être que les étudiantes d'aujourd'hui refusent simplement de se percevoir comme des victimes.>>

On peut consulter l'Enquête sur la discrimination vécue par les étudiantes des 2e et 3e cycles de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Sherbrooke à la Bibliothèque des sciences humaines de l'Université.

Hélène Goudreau

Vignettes

1 Une première expérience d'enquête sur le terrain qui a fait prendre conscience à Julie Boudreau des problèmes de discrimination que peuvent vivre certaines étudiantes de 2e et 3e cycles de la FLSH.

2 Pour Marie-Claude Poulain, étudiante à la maîtrise en rédaction-communication, le problème de la discrimination ne se pose pas. <<Je travaille dans un univers de femmes, souligne-t-elle. Même mon groupe de recherche est majoritairement féminin.>>

3 <<Lancer quelques paroles à la volée, avec une quelconque connotation déplaisante, peut paraître anodin... et cela peut même l'être dans la mesure où il n'y a pas insistance, souligne Élise Bolduc, étudiante à la maîtrise en rédaction française. Toutefois, il faut être vigilant face à certaines gens, et plus particulièrement face à certains professeurs, qui se croient tout à fait neutres dans leurs propos.>>

4 Julie Boudreau a travaillé en étroite collaboration avec Lise Charbonneau, attachée d'administration, et Normand Wener, doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines dans la conduite de cette enquête.