Le 7 novembre à la Salle Maurice-O'Bready

Les Muses orphelines : le psychodrame d'une famille

Nous sommes en 1965. Catherine, Isabelle, Martine et Luc ont été abandonnés il y a 20 ans par leur mère scandaleuse et qui a fui après la mort de leur père. Isabelle, la cadette, annonce à ses soeurs et à son frère le retour inespéré de leur mère. Elle les réunit donc à la maison familiale de Saint-Ludger-de-Milot. Là, en l'espace d'une fin de semaine, le clan Tanguay revit le passé, chacun réinventant à sa manière ses parents. Autour d'une table, ils se confient, se vident le coeur, et crient leur mal de vivre et leur besoin inassouvi d'amour. Ces retrouvailles vont resserrer les liens entre eux, comme parfois elles vont créer des dissensions.

La trame des Muses orphelines, une pièce signée par Michel-Marc Bouchard, s'organise autour du personnage d'Isabelle Tanguay, 27 ans, retardée mentale, incarnée par Pascale Desrochers. Isabelle était toute jeune quand sa mère a quitté le nid familial. Mais son frère et ses soeurs lui ont menti en lui disant que cette dernière était morte. Plus tard, elle apprend, au hasard d'une rencontre, que sa mère vit encore. Elle monte alors un subterfuge pour se venger. Elle convoque son frère et ses soeurs en leur faisant croire que leur mère revient.

La vengeance de la <<mongole>> (comme on l'appelle dans l'histoire) crée des remous entre les membres du clan Tanguay. Car les vérités éclatent. On tente de s'expliquer, on évoque les circonstances de la fugue maternelle. Chacun se berce au souvenir de la mère disparue, comme marqué à jamais par ce manque.

Pourtant, ces enfants devenus adultes trop vite ont tenté de combler ce vide parental pour échapper à la douleur. Luc s'est réfugié dans la rédaction d'un roman, où il imagine le destin de sa mère; il porte les jupes de cette dernière comme pour se la rappeler. Martine, la militaire lesbienne, s'est exilée en Allemagne et a adopté l'image de son père. Catherine, la soeur aînée, reproduit la possessivité de la mère en l'exerçant sur Isabelle.

La nouvelle mise en scène des Muses orphelines, assumée par René-Richard Cyr, a paru précise et forte aux yeux de plusieurs critiques, parce qu'elle rehausse entièrement la pièce, jouée pour la première fois en 1988. Les Muses orphelines s'affirme grâce à quatre comédiennes et comédiens qui frôlent audacieusement le psychodrame et qui, à travers leur jeu, suggèrent d'aller au-delà de la simple anecdote. Ils portent le public à réfléchir sur les maux de cette cellule universelle, la famille.

Les interprètes ont su mettre à profit leurs talents dans un jeu autant rigoureux que juste. Pascale Desrochers, dans le rôle de la mongole, est tout simplement prodigieuse et géniale; Louise Portal, dans celui de la soeur aînée Catherine, se débrouille à merveille, même après quinze ans d'absence au théâtre; Marie-France Lambert, dans celui de la soeur lesbienne et militaire, Martine, rend cette humanité due à son personnage; quant à Stéphane Simard, dans celui du frère Luc, il incarne de façon juste la sensibilité propre à son personnage.

En somme, Les Muses orphelines est une production d'une grande qualité, comme en témoignent ses succès précédents sur un plan international. C'est une pièce à voir absolument, à la Salle Maurice-O'Bready, le 7 novembre prochain.

Éric Trudel