Joies de l'enfance

Je suis née sur le bord d'un grand fleuve entre Desrochers et Vigneault, dans un petit village québécois regardant le fleuve aller et venir. Souvent, le vent balaie les champs, fait gémir la maison et s'insinue partout. Une poudrerie fine et traître, dissimulant routes et habitations, se lève à la fin du jour comme pour masquer cet horizon rose et ce Charlevoix fronçant les sourcils jusqu'à s'assombrir. Alors, sur la route, il faut deviner les lumières, imaginer la bonne voie, se cramponner à nos sièges ou au volant si la tâche vous est dévolue. Chaque lumière devient précieuse : d'une maison ou d'un lampadaire, elle nous conduira vers la chaude maison. Phare terrestre mais silencieux. Comme dans tous les villages, tout un chacun se faisait un devoir d'accrocher fièrement ses belles lumières de Noël. Chez nous, papa et maman s'affairaient à garnir la galerie d'ampoules rehaussées de branches de sapin. J'attendais ce soir-là avec impatience. Pendant les fêtes, comme un rituel, après souper, on éteignait les lumières à l'intérieur pour ouvrir grand les tentures de façon à contempler les lumières de Noël. La radio se faisait complice en sérénadant quelques airs de circonstance et papa me berçait un peu plus lentement que d'habitude. Si son bateau l'avait retenu, maman et moi l'attendions alors ensemble. Mais le plus merveilleux, c'était les nuits où je parvenais à me glisser hors du lit. J'avais les lumières pour moi toute seule... J'ouvrais la porte du gros poêle pour me donner un peu de chaleur et voir le rouge des charbons ardents, j'ouvrais les lourds rideaux de la grande fenêtre, je savourais mon bonheur. J'avais la lumière de toutes les couleurs pour moi toute seule, j'étais la fée, la princesse, la nuit m'appartenait. Comme l'amour de mes proches, les lumières ne s'éteindraient jamais, une douce paix m'envahissait. Aujourd'hui, je ne suis plus une petite fille... disons moins souvent. Papa nous a quittés pour un autre monde où je me plais à penser que la lumière se fait douce et le vent caressant. Maintenant, mon amoureux et moi accrochons des lumières sous nos fenêtres. Elles ne guident personne dans ce Sherbrooke moderne; nos lumières font joli, c'est tout. À moi, elles me rappellent quelques joies de mon enfance et me redisent des mots d'amour, de paix et d'espérance en une humanité où chacun peut allumer une lampe pour guider les pas de l'autre et peut tendre la main pour donner courage. Je vous souhaite un Noël bien lumineux d'amour et d'amitié.

Francine Viel