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Réponse à Michel Desautels concernant le Pavillon Georges-Cabana

Je suis atterré de constater que M. Michel Desautels soit atterré par la lettre que la plupart des professeurs du Département des lettres et communications ont signée relativement à la nouvelle dénomination proposée pour le Pavillon central de notre université (LIAISON du 24 novembre et du 8 décembre 1994).

Des circonstances indépendantes de ma volonté m'ont empêché de me manifester plus tôt dans cette affaire; mais si je l'avais pu, j'aurais sans la moindre réserve appuyé mes anciens collègues du DLC. Et malgré la tardiveté de mon intervention, je tiens à répondre aux arguments fallacieux qu'on nous sert et que nous ne pouvons absolument pas laisser passer sans réagir.

<<Il est fort possible, nous dit M. Desautels, que les valeurs prônées par Mgr Cabana <<en son temps>> ne correspondent pas à nos valeurs actuelles.>> Là où le bât blesse, c'est que les valeurs prêchées par Mgr Cabana <<en son temps>> ne correspondaient déjà plus - depuis longtemps - à celles que défendaient la quasi-totalité du monde intellectuel et une fraction non négligeable du clergé de l'époque. Cet honnête et vertueux archevêque vivait toujours au XIXe siècle et les idées qu'il essayait de perpétuer dataient du Moyen Âge.

On s'étonne qu'il faille vraiment rappeler - mais M. Desautels est peut-être trop jeune pour s'en souvenir - que les thèses adoptées par Mgr Cabana dans de multiples domaines suscitaient non seulement la risée générale des professeurs de notre université, mais aussi la consternation d'un grand nombre d'ecclésiastiques du diocèse, et souvent de ceux qui étaient les plus éminents...

Qu'il me soit permis d'évoquer ici un souvenir personnel. Il s'agit de la première <<conférence>> que notre chancelier nous avait donnée à notre invitation concernant les problèmes que soulevait la création éventuelle d'un ministère québécois de l'Éducation. Ce devait être en 1960 ou en 1961, peu après la première élection de Jean Lesage. L'orateur avait exigé que toutes les questions qu'on voulait lui poser lui fussent communiquées par écrit plusieurs jours d'avance. Je ne pourrai jamais oublier la prostration dans laquelle nous étions plongés en quittant la salle de conférence - tous les professeurs de la faculté des Arts de l'époque et moi-même - par l'effroyable indigence intellectuelle de l'exposé que nous venions d'entendre et par le caractère invraisemblablement rétrograde des opinions émises par notre pasteur... Ce pasteur qui, contrairement à l'usage en vigueur dans toutes les universités catholiques, refusait obstinément de donner aux professeurs de français ou de philosophie la permission générale d'acquérir ou de lire des livres figurant à l'index... Ce pasteur qui, d'autre part - et ceci, je le mentionne pour la petite histoire - interdisait formellement toute danse, même folklorique, lors des rencontres amicales et des fêtes organisées à l'université, pour la très sérieuse raison, formulée en termes exprès, que la danse conduit inévitablement au péché de luxure...

J'en passe beaucoup, et des meilleures. Non, décidément, il ne faut pas <<charrier>>. Mgr Cabana était sans le moindre doute un homme très bon, très honnête et très scrupuleux, mais lorsque M. Desautels nous rappelle que ce prélat d'un autre âge a été notre premier chancelier, je me permets de répondre que cette circonstance n'a pas été particulièrement glorieuse pour une institution qui a le rang d'université. Je suis donc intimement convaincu qu'elle ne devrait pas être immortalisée autrement que par les commentaires qu'en feront les historiens...

En conclusion, paix aux cendres de Mgr Cabana! Mais de grâce, laissons d'autres souvenirs aux jeunes qui nous suivront, des souvenirs où ils pourront trouver des sources d'inspiration pour l'avenir...

Sherbrooke, le 2 janvier 1995,

Pierre Collinge, professeur retraité

Département des lettres et communications