Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part de gâteau à l'occasion de l'édition 1996 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). LIAISON vous présente aujourd'hui le portrait d'un des neuf récipiendaires de ces subventions.

La faune et la flore en voie de lexicalisation

Louis Mercier, professeur au Département des lettres et communications, et son équipe, composée de six étudiantes et étudiants à la maîtrise en linguistique, ont obtenu du FCAR une subvention de 42 000 $ répartie sur trois ans pour leur projet de recherche Pour une description systématique du lexique québécois relatif à l'environnement naturel nord-américain.

À l'intérieur des dictionnaires disponibles au Québec tels le Petit Robert, le Petit Larousse, le Dictionnaire du français Plus et le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui, le vocabulaire de la faune et de la flore nord-américaines est nettement sous-représenté par rapport au vocabulaire européen. Et cela prévaut pour le vocabulaire de plusieurs autres domaines de la vie nord-américaine comme le sport ou même le droit. Bien qu'ils aient commencé à intégrer certains mots québécois faisant référence à des espèces indigènes nord-américaines (achigan, épinette et outarde), les dictionnaires faits en France continuent à s'adresser en priorité à un public européen.

Un exemple parmi d'autres

Prenons le cas du mot perchaude. Pour celles et ceux qui l'ignorent, une perchaude est un poisson. Mais par simple curiosité, allez tout de même vérifier la définition de perchaude dans le Petit Robert ou le Petit Larousse. Eh oui, perchaude ne se trouve dans aucun de ces deux dictionnaires. Fait surprenant, mais tout de même explicable!

Vous auriez plus de chance de retrouver le mot perchaude à l'intérieur du Dictionnaire du français Plus ou du Robert québécois d'aujourd'hui, car ces dictionnaires s'adressent à un public québécois. Mais malgré tout le mérite qui revient à ces deux dictionnaires, ceux-ci subissent encore une influence européenne. Ce sont cependant des recherches comme celles entreprises par Louis Mercier qui permettront aux lexicographes (personnes qui étudient et recensent les mots d'une langue) québécois de nous offrir, à l'avenir, des dictionnaires mieux adaptés aux besoins des francophones nord-américains.

L'équipe de recherche de Louis Mercier est rattachée au Centre d'analyse et de traitement informatique du français québécois de l'Université de Sherbrooke (CATIFQ) de la Faculté des lettres et sciences humaines. Ce centre regroupe un bon nombre de chercheurs, professeurs et étudiants du Département des lettres et communications qui travaillent tous à la description du français québécois. Pour sa part, l'équipe de Louis Mercier compte se consacrer à la description lexicographique de la portion du français québécois faisant référence à l'environnement naturel nord-américain et, en tout premier lieu, au vocabulaire de la faune et de la flore.

Louis Mercier possède une bonne expérience de la lexicographie et une excellente connaissance du vocabulaire de la faune et de la flore, car il s'y est intéressé comme rédacteur du Dictionnaire du français Plus puis comme rédacteur principal du Dictionnaire du français québécois (ouvrage historique en préparation). Il est conscient des difficultés que pose le traitement de ce type de vocabulaire et des questions théoriques et pratiques auxquelles son équipe et lui doivent répondre.

Problèmes de description

Souvent, la description des mots cause certains problèmes. Un des principaux problèmes que le lexicographe québécois rencontre, entre autres, est celui qui survient lorsque deux ou trois mots désignent un même référent. Prenons, par exemple, le cas des mots cèdre et thuya, deux termes qui renvoient au même conifère. Il serait simpliste de dire que cèdre est une faute et thuya le bon mot. Le francophone nord-américain est familier avec les haies de cèdres et les toitures en bardeaux de cèdres. Dans ces expressions, cèdre est d'emploi neutre et courant. Mais certains Québécois, lorsqu'ils s'adressent à des spécialistes ou à des francophones non québécois, préféreront utiliser le terme thuya afin d'éviter toute ambiguïté.

Par contre, il faut savoir que le mot cèdre, dans la terminologie botanique comme dans la langue générale en France, désigne plutôt un conifère originaire du sud de la Méditerranée. Nous pouvons donc conclure deux choses : d'une part, la même espèce peut être désignée différemment selon les contextes et, d'autre part, le même nom peut aussi servir à désigner différentes espèces selon la personne qui parle. Le lexicographe doit savoir rendre compte de toutes ces nuances d'emploi.

Mais ce n'est pas tout. Afin de définir le nom d'un animal ou d'une plante, on doit inévitablement parler de ses caractéristiques physiques. Cependant, quelle description du mot devrait être adoptée? Celle du spécialiste des sciences naturelles qui comprend des noms latins et des termes connus exclusivement de ce dernier ou celle du non-spécialiste? <<Il faut trouver le juste équilibre entre la définition minimale, trop restreinte pour le lecteur moderne, et la définition encyclopédique qui elle, cadre mal dans un dictionnaire de langue générale tel le Petit Robert>>, admet Louis Mercier.

Une nomenclature limitée

Toujours selon Louis Mercier, tous les mots québécois faisant référence à des animaux ou à des plantes d'Amérique du Nord méritent en principe d'être répertoriés. Cependant, la nomenclature d'un dictionnaire, qui est l'ensemble des mots répertoriés, est nécessairement limitée. Cette contrainte oblige donc les lexicographes à faire des choix qui, malheureusement, ne sont pas toujours cohérents. <<Nous essayerons de fournir aux lexicographes un inventaire complet des mots de la faune et de la flore nord-américaines avec des critères de sélection qui leur permettront de faire des choix plus éclairés>>, explique Louis Mercier.

Pour y arriver, son équipe et lui devront établir un certain nombre de paramètres descriptifs de nature linguistique tels le domaine d'emploi, le degré de spécialisation, la fréquence, l'importance culturelle, etc. Dans une perspective plus large, Louis Mercier compte développer un cadre de recherche sur la pratique lexicographique actuelle permettant d'analyser cette même pratique, d'en identifier les points faibles et de faire des propositions visant à son amélioration.

Un calendrier chargé

Une lourde tâche attend Louis Mercier et son équipe. En effet, ces chercheuses et chercheurs entendent dresser l'inventaire des mots de la langue générale et des langues de spécialité auxquels les Québécois et Québécoises ont recours pour désigner les plantes et les animaux de leur environnement naturel. <<Nous devons tout d'abord commencer par dépouiller une série d'ouvrages portant sur les différentes branches des sciences naturelles ainsi qu'un certain nombre de corpus linguistiques non spécialisés. Tous les noms de plantes et d'animaux recueillis feront l'objet d'une fiche lexicographique informatisée. Une fois complétées, ces fiches seront versées au fichier prédictionnairique du CATIFQ et elles serviront à élaborer de futurs dictionnaires du français québécois>>, conclut Louis Mercier.

Éric Guay

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Louis Mercier, professeur au Département des lettres et communications et bénéficiaire d'une subvention du FCAR, entend fournir aux lexicographes un inventaire complet des mots de la faune et de la flore nord-américaines.