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Nouveau programme Émotions et médiation

Agir en toute impartialité dans un contexte d’émotivité

Valérie Lanctôt-BédardLL.M. PRD, Cert. CNVC, Méd. Acc. IMAQ, ACC (ICF)
Valérie Lanctôt-Bédard
LL.M. PRD, Cert. CNVC, Méd. Acc. IMAQ, ACC (ICF)

Entrevue avec Madame Valérie Lanctôt-Bédard, formatrice pour le nouveau programme de formation continue en prévention et règlement des différends, Émotions et médiation offert par la Faculté de droit.



Madame Lanctôt-Bédard, parlez-nous d’abord un peu de vos champs de pratique. Comment expliquez-vous cet intérêt marqué pour la médiation et la résolution des différends?

J’explique cet intérêt marqué par mon histoire de vie qui m’a amenée à m’intéresser à la médiation et à la résolution des différends; mon histoire, à travers les « chicanes » des autres ou mes propres « chicanes de vie ».  Prendre conscience de l’impact de ces différends et de la souffrance qui peut en résulter a donné une puissante orientation à mon cheminement professionnel.

D’un autre côté, mon parcours professionnel plus traditionnel a nourri mes questionnements, à savoir: comment pouvons-nous vivre ensemble à travers nos conflits - qui sont une réalité humaine incontournable?  Mes rôles d’activiste dans toutes sortes de sphères, de thérapeute, d’employée, de dirigeante et aussi beaucoup en tant que formatrice, ont fait en sorte que je me suis posé la question, et de différentes façons: qu’est-ce qui fait que certaines relations et dynamiques relationnelles sont agréables et constructives et mènent à une synergie et une expansion, alors que tant d’autres peuvent sembler difficiles, ardues, voir destructives? Ce questionnement m’a habitée longtemps et a guidé une quête qui continue de s’approfondir à ce jour.

Depuis 2003, vous vous consacrez à la formation et à l’intervention en communication interpersonnelle. Pourquoi choisir d’orienter votre carrière vers ces deux avenues?

C’est mon questionnement sur les dynamiques relationnelles qui a continué d’animer mon cheminement d’apprentissage et d’approfondissement par rapport à la communication interpersonnelle. Après avoir exploré plusieurs avenues, c’est à travers mon travail avec le modèle de la Communication NonViolente que j’ai vécu les changements les plus profonds en moi.  Ces changements ont ensuite permis de transformer mes relations et de bouger à travers les conflits de façon plus constructive, plus créative et moins ardue.

Et comme j’ai toujours été « une formatrice » dans l’âme, j’ai voulu transmettre les choses qui me passionnent et qui m’ont apporté une grande satisfaction, à d’autres personnes, afin qu’elles puissent bénéficier de ces apprentissages.  J’ai aussi voulu les appliquer en intervention, car lorsque nous sommes en situation de conflit ou en grandes difficultés relationnelles, c’est plus difficile d’apprendre, et c’est là la juste place pour l’intervention. Chacun des outils avec lesquels je travaille présente des modèles d’intervention très enrichissants.

Vous avez récemment terminé une maîtrise en prévention et règlement des différends de l’Université de Sherbrooke.  Votre projet de fin d’études s’intitule: « Neutralité et impartialité des médiateurs : gestion des émotions? ». Quelles ont été vos motivations à traiter cette question?

Ma motivation vient de ce qui se passait lors de certains jeux de rôle en classe en tant qu’apprenant médiateur.  Pendant ces jeux de rôle, il y avait des personnes qui devenaient de plus en plus agitées.  Et moi-même en tant que médiatrice, il y a  des situations où je me voyais prise émotionnellement, ce qui peut rendre le travail directement en lien avec le conflit des autres très déstabilisant et épuisant. En contrepartie, les médiateurs et médiatrices reçoivent peu de formation spécifiquement sur ce sujet.

J’ai juxtaposé ces deux éléments avec ce qui était ma pratique au niveau de la Communication NonViolente, l’intelligence relationnelle et la pratique de la pleine présence.  Ces approches que j’utilisais comblaient une lacune entre des besoins spécifiques de développement des médiateurs et ce qui était offert.

Je me suis posé la question: qu’est-ce qu’on connait sur la formation des médiateurs par rapport à l’intelligence émotionnelle et sociale et qu’est-ce qui semble être en lien avec ce que je fais déjà dans mes activités professionnelles?

Pour favoriser une bonne gestion du conflit, le médiateur doit réunir quelles conditions?

En plus de tous les aspects dont on s’attendrait d’un professionnel, le médiateur en médiation facilitative, doit avoir une grande intelligence émotionnelle et sociale, ainsi qu’une bonne capacité à composer avec les émotions afin de pouvoir aller au cœur des sujets qui préoccupent les parties à la médiation.

Le médiateur voudra avoir des outils et des habiletés pour composer de façon constructive avec la sphère émotionnelle.

Le qualificatif de « facilitateur relationnel » est souvent utilisé pour souligner le travail de communication et de dialogue du médiateur. Pouvez-vous nous le définir?

La facilitation relationnelle comporte deux volets. D’abord, elle implique que le médiateur ou la médiatrice demeure maître du processus communicationnel, ce qui lui permettra d’aller à la source du problème et d'assurer une compréhension plus vaste des enjeux sous-jacents et que ce processus communicationnel, tout en allant plus loin que les positions de départ, puisse demeurer constructif. Dans un deuxième temps, je trouve important - dans la mesure où le contexte est propice - d’être capable d’aider les parties à comprendre leur zone de défi communicationnel. Par exemple, lorsque l’on recherche des solutions à retenir pour le futur, ne pas seulement s’attarder sur le problème du départ, mais aussi sur le défi communicationnel, pour aider la relation à continuer à évoluer dans le temps et assurer l’autonomie des parties pour éviter que la relation continue de nécessiter la présence d’un médiateur.

Comment un médiateur peut maintenir un sentiment de neutralité  lorsque de par son rôle, il travaille dans un contexte d’émotivité avec des personnes en situation de conflit? Quelles sont les aptitudes nécessaires pour permettre une saine gestion de toute réaction lorsqu’on est médiateur?

En médiation facilitative ou intégrative, les médiateurs doivent naviguer dans la sphère émotive, la porte d’entrée vers les enjeux et les besoins sous-jacents aux positions qu’ont les parties en médiation. Pour ce faire, les médiateurs doivent se rapprocher des parties et de leurs émotions, ce qui comporte des risques de développer toutes sortes de biais, plus ou moins conscients.

Nous proposons que les médiateurs doivent, premièrement, développer une aise avec les émotions, leurs propres émotions et celles des autres pour pouvoir atteindre les enjeux sous-jacents.

Deuxièmement, on voudrait que les médiateurs puissent développer une conscience d’eux-mêmes dans l’action et suffisamment de présence pour ne pas être accaparés par leurs propres réactions.

Lorsqu’on parle de neutralité, on s’attend d’un médiateur, tout comme on s’attend d’un juge, qu’il n’ait pas de réaction à la situation qui lui est présentée, mais cela est presque impossible, puisque nous sommes des êtres humains et nous allons résonner avec les expériences des autres. Nous voulons être capables d’en être conscients et ne pas être accaparés par ce qui se passe en nous.

Troisièmement, on veut que les médiateurs apprennent à développer leur capacité de transformer leurs propres réactions émotives pour se ramener à une façon d’agir qui soit impartiale, perçue comme impartiale, et qui donne vraiment la place à toutes les solutions et à toutes les différentes interventions des parties afin qu’elles puissent ensemble co-construire leur propre solution.

Pouvez-vous nous expliquer la distinction entre la notion de neutralité et la notion d’impartialité?

On a longtemps parlé de neutralité au niveau des médiateurs en faisant référence au fait qu’on ne doit pas réagir à ce qui se passe. Or, ce langage est moins utilisé maintenant, puisqu'il est impossible de ne pas avoir nos propres réactions, nos propres résonnances avec ce qui nous est présenté en situation de conflit.

Par contre, nous allons davantage parler d’impartialité. On va parler de deux aspects. Celui qu’on connait mieux est le conflit d’intérêt classique. Par exemple, ça peut être une relation personnelle ou professionnelle avec l’une des parties, un intérêt financier lié à l’issue de la médiation ou en lien avec les personnes présentes.

Plus subtilement, on va aussi parler de biais personnels.  Est-ce qu’on peut se rendre compte que nous avons un biais pour tel type de personne ou tel type de solution?  Pouvons-nous avoir un biais pour un sujet, une optique politique, personnelle, philosophique?  Est-ce qu’on a plus d’affinité avec un type de personne, moins d’affinité avec un autre? Pouvons-nous être conscients de ces biais beaucoup plus subtils qui peuvent avoir une grande influence si on ne les voit pas? C’est de ces différents aspects d’impartialité qu’il est important de prendre conscience afin d’agir en fonction de ce qui est attendu de nous en tant que médiateurs. C’est là la pierre angulaire du travail de médiation.

Quel est l’impact général sur le processus de médiation d’un manquement à la neutralité et à l’impartialité?

Le plus gros impact d’un manquement à la neutralité et à l’impartialité est la perte de confiance au cœur de la médiation. Si un médiateur fait preuve de partialité, de quelques biais que ce soit, il peut y avoir une perte de confiance d’abord en soi-même pour les parties. Si par exemple, le médiateur ou la médiatrice donne moins de soutien ou moins d’attention pour que cette personne soit bien comprise, qu’elle puisse participer à la création de solutions, qu’elle ait toute sa place dans la médiation, la personne pourrait perdre confiance en elle-même et demeurer confuse, incertaine, et ne pas retrouver son propre pouvoir au travers du processus.

Deuxièmement, la perte de confiance envers le tiers.  Cela peut être plus ou moins conscient ou évident selon la gravité du manque de neutralité ou d’impartialité.  La perte de confiance envers le médiateur va faire en sorte encore une fois que la personne va moins participer à la médiation, car la confiance n’est plus présente.

Évidemment, il faut d’abord avoir confiance envers le médiateur ou la médiatrice pour ensuite redévelopper de la confiance envers l’autre partie.  Souvent, les gens qui sont en médiation ont un bris de confiance entre eux. S’ils n’ont pas confiance envers le médiateur, il sera très difficile de bâtir une confiance entre eux.

Cela peut aussi devenir dommageable sur une plus grande échelle, voire la perte de confiance envers la médiation en général. On promet un processus consensuel au cours duquel les parties peuvent participer à la solution et si ce n’est pas le cas, la confiance envers la médiation va s’effriter.

En conclusion, que recommanderiez-vous aux médiateurs et médiatrices qui voudraient augmenter leur aisance et leurs habiletés à gérer leurs émotions?

Je recommanderais aux médiateurs et médiatrices de se donner des occasions de se développer à l’intersection du personnel et du professionnel.  Ce développement pourrait servir à se familiariser avec les émotions, tant les leurs que celles des autres, car celles des autres déclenchent souvent les nôtres et les nôtres déclenchent celle des autres!  On veut être capable de développer son aise avec toutes les émotions et sa capacité de construire avec et à travers celles-ci et non pas de tenter de faire de la médiation malgré les émotions.

Je propose que ce développement soit de nature expérientielle. Les émotions sont des expériences humaines, très vivantes, très dynamiques.  À l’image de faire de la voile, pour apprendre, il faut naviguer.  On ne devient pas marin en lisant sur la voile.  On va vouloir mettre ses deux pieds sur un bateau et vivre l’expérience.  Avec les émotions, c’est la même chose, on veut voir comment on peut travailler avec les émotions, comprendre la force des émotions et les utiliser au maximum.