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Avancées majeures en écologie

Les écosystèmes peuvent-ils récupérer d’une grande perturbation?

Dominique Gravel, professeur au Département de biologie de la Faculté des sciences.
Dominique Gravel, professeur au Département de biologie de la Faculté des sciences.
Photo : Michel Caron

Imaginons un écosystème, une forêt tropicale. Elle foisonne d’organismes d'une diversité spectaculaire en raison de la chaleur et de l'abondance des pluies: plantes, insectes, reptiles, oiseaux, mammifères, sans oublier des milliers de microorganismes. Et puis, soudainement, un orage extrêmement violent s’abat sur cette forêt. Elle subit des inondations, des arbres sont cassés, d'autres renversés. L’équilibre précieux de cet écosystème est perturbé. Est-ce que la forêt pourra retrouver sa vitalité? Est-ce que cet écosystème est en péril?

La question de la stabilité des écosystèmes a longtemps divisé les écologistes, empiristes et théoriciens. En 1972, le chercheur australien Sir Robert May propose un modèle mathématique très général prédisant que les écosystèmes riches en espèces ne parviendraient pas à récupérer de telles perturbations. Selon cette théorie, nous ne devrions trouver sur terre que des systèmes relativement simples, avec peu d'interactions écologiques. Or, les systèmes diversifiés, comme le sont les forêts tropicales et les récifs coralliens, sont bel et bien persistants et survivent à des perturbations régulières depuis des milliers d'années. Les relevés faits par les écologistes démontrent une certaine constance dans les assemblages d’espèces, lorsqu’ils ne sont pas perturbés par l’humain.

« Stability and Complexity in Model Ecosystems » de Robert May.
« Stability and Complexity in Model Ecosystems » de Robert May.
Photo : Michel Caron

Le paradoxe de Robert May est un problème sur lequel travaillent les écologistes depuis près de 45 ans maintenant. À l'image de la conjoncture de Poincarré en mathématiques, ou encore du boson de Higgs en physique, ce problème fascine la discipline toute entière et est l'objet d'étude de nombreuses équipes à travers le monde.

Un de ces théoriciens est le professeur Dominique Gravel, chercheur au département de biologie de la Faculté des sciences. En abordant la question de la stabilité des écosystèmes de façon originale, lui et une équipe internationale de chercheurs a réussi à pousser le modèle de May plus loin et à ouvrir la voie à des avancées majeures dans le domaine de l’écologie théorique. Deux études publiées à la fin août dans Nature Communications s'attaquent à deux perspectives différentes à cette question.

La première étude développe une extension spatiale du modèle de May.  On trouve en nature une grande diversité d'échanges entre localités, par exemple les nutriments qui circulent entre océans et influencent la distribution des stocks de poissons, ou encore les grandes migrations d'oiseaux qui connectent différents continents. On nomme un ensemble d'écosystèmes ainsi connectés par des échanges un 'méta-écosystème'.  Or la théorie initiale de May ignore cette réalité et ces chercheurs ont tenté de comprendre s'il pourrait s'agir d'une piste pour résoudre son fameux paradoxe. Le nouveau modèle utilisé démontre clairement qu'un niveau de dispersion intermédiaire entre des écosystèmes distincts tend à stabiliser l'ensemble du système et donc permettrait l'existence d'écosystèmes riches et complexes. Ces travaux ont des implications pratiques pour notre gestion du patrimoine naturel, même ici au Québec. « Par exemple, commente Dominique Gravel, la connexion entre les écosystèmes que l'on peut constater dans un paysage constitué de champs et de forêt, typique du sud du Québec, pourrait être fragilisé par la fragmentation, l'urbanisation, et conduire à une perte de résilience des écosystèmes.  »

La seconde étude a compilé et analysé des données existantes en vue de vérifier la prédiction du modèle de May. « Nous avons utilisé les données de plus d’une centaine de réseaux d'échanges entre proies et prédateurs pour réaliser cette étude, ajoute Pr Gravel. Nous avons d'abord tenté de valider la prédiction de May, laquelle fut rejetée, pour ensuite essayer de trouver les caractéristiques des écosystèmes qui leurs permettent d'être résilients.  Les résultats de l’analyse de ces données mettent évidence des facteurs stabilisants les réseaux d’alimentation, soit principalement l'existence d'un grand nombre d'interactions faibles et la structure très organisée des réseaux écologiques. »

Étant donné le travail colossal que représente l’analyse des 128 jeux de données, les chercheurs ont dû utiliser des ordinateurs à grande puissance de calcul pour en arriver à des conclusions probantes. « Ce qui a permis d’utiliser toutes ces données, c’est qu’elles ont été recueillies sur une même plateforme. Je crois aussi que le succès de notre démarche tient à l’excellente relation que nos équipes de travail ont élaborée au fil des ans », conclut Pr Gravel.

Ces travaux ont démarré lors d'ateliers au National Institute for Mathematical and Biological Synthesis, à Knoxville, au Tennessee. Ils ont été réalisés en collaboration avec des chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski, du Centre de la Science de la Biodiversité du Québec,  du Laboratoire Évolution, Écologie et Paléontologie du CNRS (France), du laboratoire des universités de Lille, de Montpellier et de la University of Texas at Austin.


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